El beso más pequeño

Je me revoyais le jour où j’avais dû quitter pour la première fois le quartier. Cette impression de m’exiler de l’autre côté de ma vie. Dark Side. Le vent glacé de janvier qui s’engouffrait dans mon trou à la poitrine. L’installation du bunker autour du cœur, avec son périmètre d’insécurité. Tout s’accélérait et tout ralentissait. Ce goût d’obscurité. On se dit qu’on s’y fera jamais. Un petit hôtel de l’autre côté de la ville, dans un autre pays. On se tord, mais on s’y fait. Il le faut. Se remettre en question. Trop. Pas assez. Trouver de nouveaux équilibres. Essayer de comprendre. Ne pas y arriver. En rire. Se foutre un peu de sa propre gueule. Croire. S’écrouler à nouveau…

Alors je suis parti avec mes derniers sacs remplis de disques, livres, DVD et de regrets.

L’heure d’enlever les décorations du sapin avait sonné. Ça ne sert à rien des guirlandes sur un arbre mort, même si ça rassure toujours un peu.

Les démons n’avaient pas disparu pour autant, et je me faisais à l’idée que je ne m’en séparerais jamais vraiment. La blessure de l’accident d’amour ne se refermerait pas, inutile d’essayer de cautériser en accéléré. Il fallait avancer. Stopper l’amouragie.

Je lui glissais ce genre d’histoires miniatures dans son sac à main. Pendant qu’elle dormait, j’en cachais dans ses sous vêtements et ses chaussures.

Je lui écrivais. C’était ma façon de lui montrer à quel point elle existait.

Je m’étais lancé dans de grands travaux pour rendre mon cœur plus confortable, une sorte d’entreprise de rénovation intérieure de mon bunker. Aménager. S’efforcer d’aller mieux pour être plus accueillant. Casser quelques murs, fabriquer des fenêtres pour laisser filtrer la lumière.

–(…)Tu étais ta propre création. (…)
–Et je devenais la tienne, aussi. Les messages par perroquet interposé, les petits poèmes, le spectacle de ventriloquie… Je devenais une sorte de muse. J’ai joué la carte du mystère pour continuer à te plaire.

—(…) J’ai ressenti quelque chose de tellement fort avec ce baiser que j’en ai eu une trouille bleue!
(…)
Après le fameux baiser, j’ai disparu longtemps. J’ai vraiment cru que je resterais invisible pour toujours. Alors je me suis forcée à penser à toi le moins possible. Au bout de quelque temps, j’ai fini par réapparaître.
— Mais tu te rends compte que tu m’as fait tomber amoureux d’un fantôme!

Elle me regardait avec ses grands yeux de biche prise au piège qu’elle avait décidé de se tendre.