Piloto de guerra

Aucune circonstance ne réveille en nous un étranger dont nous n'aurions rien soupçonné. Vivre, c'est naître lentement. Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites!
Une illumination soudaine semble parfois faire bifurquer une destinée. Mais l'illumination n'est que la vision soudaine, par l'Esprit, d'une route lentement préparée. J'ai appris lentement la grammaire. On m'a exercé à la syntaxe. On a éveillé mes sentiments. Et voilà brusquement qu'un poème me frappe au cœur.
Certes je ne ressens pour l'instant aucun amour, mais si, ce soir, quelque chose m'est révélé, c'est que j'aurai pesamment apporté mes pierres à l'invisible construction. Je prépare une fête. Je n'aurai pas le droit de parler d'apparition soudaine, en moi, d'un autre que moi, puisque cet autre que moi, je le bâtis.
Je n'ai rien à attendre de l'aventure de guerre, sinon cette lente préparation. Elle paiera plus tard, comme la grammaire...

Et certes, la vie lui avait enseigné la sensation du temps qui s'écoule ou l'amour des objets familiers. Et il se servait de l'homme qu'il était pour ressentir son univers.

Où trouve-t-on cette démence hagarde que, pour nous éblouir, inventent les littérateurs?

L'homme est toujours l'homme. Nous sommes des hommes. Et, en moi, je n'ai jamais rencontré que moi-même.

Il n'éprouvait aucun désir. Il n'éprouvait rien. Il disposait de tout son temps. Il se baignait dans une sorte de loisir infini. Et, point par point, je reconnaissais cette extraordinaire sensation qui accompagne parfois l'imminence de la mort: un loisir inattendu...

L'angoisse est due à la perte d'une identité véritable. Si j'attends un message dont dépend mon bonheur ou mon désespoir, je suis comme rejeté dans le néant. Tant que l'incertitude me tient en suspens, mes sentiments et mes attitudes ne sont plus qu'un déguisement provisoire. Le temps cesse de fonder, seconde par seconde, comme il bâtit l'arbre, le personnage véritable qui m'habitera dans une heure. Ce moi inconnu marche à ma rencontre, de l'extérieur, comme un fantôme. Alors j'éprouve une sensation d'angoisse. La mauvaise nouvelle provoque, non l'angoisse, mais la souffrance: c'est tout autre chose.

L'important est de se gérer dans un but qui ne se montre pas dans l'instant. Ce but n'est point pour l'Intelligence, mais pour l'Esprit. L'Esprit sait aimer, mais il dort. La tentation, [...] c'est être tenté quand l'Esprit dort, c'est de céder aux raisons de l'Intelligence.

Connaître, ce n'est point démonter, ni expliquer, C'est accéder à la vision. Mais, pour voir, il convient d'abord de participer. Cela est dur apprentissage...

Mais, cette nuit peut-être, un chien de garde se réveillera et aboiera. J'ai toujours goûté la magie d'un village qui rêve tout haut, par la voix d'un seul chien de garde, dans la nuit claire.

Je n'ai aucun espoir de me faire comprendre, et cela m'est absolument indifférent.