Piloto de guerra de Antoine de Saint-Exupéry
Je suis choqué par une évidence que nul n'avoue: la vie de l'Esprit est intermittente. La vie de l'Intelligence, elle seule, est permanente, ou à peu près. Il y a peu de variations dans mes facultés d'analyse. Mais l'Esprit ne considère point les objets, il considère le sens qui les noue entre eux. Le visage qui est lu au travers. Et l'Esprit passe de la pleine vision à la cécité absolue. Celui qui aime son domaine, vient l'heure où il n'y découvre plus qu'assemblage d'objets disparates. Celui qui aime sa femme, vient l'heure où il ne voit dans l'amour que soucis, contrariétés et contraintes. Celui qui goûtait telle musique, vient l'heure où il n'en reçoit rien. Vient l'heure comme maintenant, où je ne comprends plus mon pays. Un pays n'est pas la somme de contrées, de coutumes, de matériaux, que mon intelligence peut toujours saisir, C'est un être. Et vient l'heure où je me découvre aveugle aux êtres.
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