Le Livre d'or de la poésie française (des origines à 1940) de Pierre Seghers
LE TEMPS VA ET VIENT ET VIRE Le temps va et vient et vire Par jours, par mois et par ans, Et moi, las ! ne sais que dire, Toujours même est mon désir. Toujours même sans changer. J'aime celle que j'aimais Dont jamais je n’eus plaisir. Elle n'en perd point le rire, A moi revient dol et dam, A ce jeu qu’elle m'inspire Deux fois serai le perdant, Il est bien perdu, l’amour, Qui se donne à l’insensible, S’il ne touche à sa cible. Plus jamais ne chanterai, Je n’écouterai plus Ebbe Mes chants ne me valent rien, Ni mes couplets ni mes airs, Rien que je fasse ou que dise, Je le sais, ne m’est profit. Et ne vois pas de remède. Si la joie m’est au visage, Moult ai dans le cœur tristesse. Vit-on jamais pénitence Faire avant que de pécher ? Plus je la prie, plus m’est dure ; Si sous peu elle ne change, En viendrai au départir... Las, bon amour convoité, Corps bien fait, si tendre et lisse, Visage aux fraîches couleurs Que Dieu de ses mains créa ! Toujours vous ai désirée Aucune autre ne m’agrée, D’un autre amour ne veut pas ! Douce femme bien apprise, Que Celui qui vous forma, Si gente, m’envoie la joie ! Bernard de Ventadour - 12ème siècle |