Piloto de guerra de Antoine de Saint-Exupéry
La mort est une grande chose. Au cours des corvées de l'enterrement, nous y aimions le mort, nous ne sommes pas en contact avec la mort. Elle est un nouveau réseau de relations avec les idées, les objets, les habitudes du mort. Elle est un nouvel arrangement du monde. Rien n'a changé en apparence, mais tout a changé. Les pages du livre sont les mêmes, mais non le sens du livre. Il nous faut, pour ressentir la mort, imaginer les heures où nous avons besoin du mort. Alors il manque. Imaginer les heures où il eût eu besoin de vous. Mais il n'a plus besoin de nous. Imaginer l'heure de la visite amicale. Et la découvrir creuse. Il nous faut voir la vie en perspective. Mais il n'est point de perspective ni d'espace, le jour où l'on enterre. Le mort est encore en morceaux. Le jour où l'on enterre, nous nous dispersons en piétinements, en mains d'amis vrais ou faux à serrer, en préoccupations matérielles. Le mort mourra demain seulement, dans le silence. Il se montrera à nous dans sa plénitude, pour s'arracher, dans sa plénitude, à notre substance. Alors nous crierons à cause de celui-là qui s'en va, et que nous ne pouvons retenir.
|